« Parfois je me demande d’où me vient cette énergie », Anja Linder, harpiste
Si Felix Klieser, notre artiste en résidence, est né avec un handicap qu’il a su contourner pour devenir un grand musicien, Anja Linder a elle été stoppée dans sa carrière naissante par un accident tragique en 2001 (désigné comme le « drame de Pourtalès ») qui l’a rendue paraplégique. Après des années de souffrance et de rééducation et grâce à un instrument modifié pour elle, cette sublime harpiste a pu reprendre sa vie de musicienne. Elle jouera notamment le Boléro de Ravel en clôture des Jeux paralympiques.
L’Offrande musicale : Votre nouveau disque est consacré à Schubert, vous avez déclaré à France Musique que ce qui vous lie, c’est sa façon de transcender la douleur dans sa musique, en quoi cela vous inspire-t-il ?
Anja Linder : Il n’y a jamais de pathos ni de colère dans sa musique. Elle tend toujours vers la beauté. Un passage d’une profonde douleur sera suivi de lumière. Il y a beaucoup d’amour entre les notes. C’est une musique qui ne détruit pas, mais régénère. Je l’ai toujours aimé, c’est avec « Nachtstück » que j’avais remporté le concours international de harpe d’Arles en 1999.
O.M. : Avec cet accident, vous dites avoir craint plus que tout de perdre la musique, en quoi est-elle vitale pour vous ?
A.L. : C’est un prolongement de moi-même, il y a des parties de moi que je ne sais pas exprimer autrement. Je me sentirais amputée, suffoquer sans musique. J’aime trop en jouer. Au centre de rééducation, quand j’entendais de la musique c’était à la fois une souffrance et une joie, comme le fait dire Truffaut à Belmondo.
O.M. : Les premières harpes connues remontent à la civilisation sumérienne en 3 500 av. J.-C., finalement, pour vous un nouvel instrument a été inventé, l’Anjamatic…
A.L. : En 2004, l’Instrumentarium de Paris m’a proposé de modifier une harpe. Ils ont travaillé avec l’ingénieur Marc Lamoureux pour remplacer les pédales par un système électro-pneumatique piloté par ordinateur et que je contrôle par le souffle.
O.M. : Cela donne-t-il une spécificité à votre jeu par rapport à d’autres harpistes ? En quoi votre expressivité a-t-elle été modifiée ?
A.L. : C’est difficile à dire : comment aurait évolué mon jeu avec l’âge ? Mon jeu s’est adapté aux contraintes de cet instrument et surtout de la tige de titane de 42 cm que j’ai dans le dos.
O.M. : Avez-vous aujourd’hui repris le fil logique de votre carrière ? Vous parlez de la réticence de certains orchestres à collaborer avec une musicienne en fauteuil, le handicap vous ferme-t-il des portes ?
A.L. : Oui, déjà car beaucoup d’endroits ne sont pas accessibles en fauteuil. Et les orchestres ont pris l’habitude de ne pas me prendre en leur sein. Je l’ai fait de rares fois, comme sur le plateau du « Grand Échiquier » avec l’orchestre d’Anne Gravoin.
O.M. : Est-ce encourageant qu’un festival comme le nôtre existe ?
A.L. : C’est magnifique cette ouverture d’esprit, c’est une philosophie très belle portée par David Fray qui est profondément humain.
O.M. : Vous avez déclaré : « Ils avaient eu raison pour la marche, ils ont eu tort pour tout le reste », d’où vient le courage pour faire mentir les prédictions des médecins ?
A.L. : De mon appétit de vie, tout simplement. Si une porte est fermée, je passe par la fenêtre, si celle-ci est fermée, je passe par la cheminée. Parfois je me demande d’où me vient cette énergie : je m’endors épuisée et le lendemain matin elle est là à nouveau. Elle vient aussi de mon éducation, ma mère a subi beaucoup d’épreuves, n’a jamais baissé les bras, ne s’est jamais plainte. Je suis entourée de gens qui n’ont pas de handicap mais se laissent abattre par bien peu de choses. Moi, je sais que la vie ne tient qu’à un fil, d’où l’envie d’avancer vite et intensément.