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[TEXTE EXTRAIT DU MAGAZINE YVETTE DE MAI 2023] Chiara Muti et David Fray sur scène, c’est sans doute le meilleur mariage que l’Italie et la France aient connu depuis la venue de Catherine de Médicis avec sa fourchette pour faire sortir notre gastronomie de sa caverne. (Que celui pour qui le meilleur mariage est la carbonara avec crème et lardons aille rôtir en enfer !) Le couple d’artistes installé en Bigorre sera pour la première fois véritablement ensemble sur scène, au théâtre des Nouveautés, pour une création de Chiara Muti sur le premier fils de Marie-Antoinette et Louis XVI, mort de maladie après des années de handicap et de souffrance, en plein États-Généraux. Un sujet qui les touche pour des raisons personnelles, ces mêmes raisons qui ont conduit le pianiste David Fray à offrir aux Hautes-Pyrénées et plus particulièrement aux publics empêchés ce fabuleux festival. Rencontre.

Chaises musicales

Cette année, c’est la dame, comme on dit aux cartes, qui sera sur le devant de la scène tandis que le roi restera dans l’ombre, au piano. Ce n’était pourtant pas évident. Avec sa carrière de metteuse en scène pour le théâtre et l’opéra, Chiara Muti n’était pas très enthousiaste à l’idée que son mari crée un festival : « On est tellement rarement là, on ne fait que se croiser de temps en temps, perdus dans la forêt de Barbazan, c’était beau. Après, j’ai beaucoup apprécié la manière dont il a tourné ça en un partage avec les personnes qu’on dit plus fragiles – même si pour moi, elles sont beaucoup plus fortes que nous. Je trouve ça magnifique que les parents puissent amener leur enfant handicapé à la générale quand ils n’osent pas l’amener au spectacle. Ce n’est pas juste que certains ne puissent pas jouir de la musique d’un orchestre. Je n’oublierai jamais le regard que mes amis avaient eu quand on était enfants et que je les avais emmenés avec moi écouter l’orchestre de mon père. »

La jeune fille au père

Car avant d’être un prénom, l’histoire de Chiara Muti est faite d’un nom, il cognome, celui de son père Riccardo, sans hésitation le plus grand chef d’orchestre de son époque. À Ravenne, en Vénétie, et un peu partout en Italie, Chiara grandit entre les grands personnages, artistes et intellectuels, et les théâtres les plus extraordinaires. Pour poursuivre sa passion, elle s’engage sur la voie royale. Et plus précisément le Piccolo Teatro de Milan du metteur en scène connu dans toute l’Europe, Giorgio Strehler. Elle figure parmi la petite vingtaine d’heureux élus. « Le théâtre était comme une mission pour lui. Et on portait l’uniforme, on devait tous être égaux. » Il faut dire que le maestro avait été sénateur communiste.

Chiara rencontre vite le succès au théâtre, notamment dans le rôle titre de Sept personnages en quête d’auteur de Pirandello, dans Lady McBeth ou dans Médée. Au cinéma aussi, avec les réalisateurs Pupi Avati ou Guido Chiesa, elle va à la Mostra de Venise, mais décidément, le cinéma n’est pas pour elle : « Quand on demandait à Louis Jouvet ce qu’il fallait pour faire du cinéma, il répondait : “Venir avec une bonne chaise.” En tant qu’acteur, tu te sens un objet. C’est frustrant. » Elle arrive naturellement à la mise en scène : « Les réalisateurs avec qui je tournais me disaient : “Toi tu poses trop de questions”. Maintenant que je suis de l’autre côté, je comprends qu’ils n’aiment pas les comédiens têtus qui veulent tout comprendre, mais quand on arrive à s’entendre, à partager l’esprit de la mise en scène, on atteint une confiance totale. »

La trovatore

Oui Yvette balance des allusions en italien à un opéra de Verdi, ça t’étonne ? Chiara commence avec des créations sur Mozart et sur Wagner. On lui propose alors l’opéra. Ce sera Sancta Susanna de Paul Hindemith. Une version magnifique, paraît-il. Et l’action ? « No va bene, on ne le dit pas. » Quoi ? Ne pas parler d’une bonne sœur amoureuse du Christ ? Il arrive tant de propositions pour l’opéra à Chiara qu’elle ne retourne que rarement au théâtre. En ce moment, elle a une création sur les planches italiennes, Le Due Regine, sur Marie Stuart et Elizabeth Ist. À la rentrée prochaine, elle fera ses débuts à la Scala de Milan pour le Guillaume Tell de Rossini, 5 h de musique… Autant dire qu’il n’y a plus de quoi la ramener à son père, d’ailleurs « on ne m’a pas réduite à une fille de. Par contre, quand je travaille sur les grandes scènes de Naples, Rome et surtout la Scala, j’ai l’impression de rentrer à la maison, j’y ai passé les vingt premières années de ma vie. »

« Quand je travaille sur les grandes scènes de Naples, Rome et surtout la Scala, j’ai l’impression de rentrer à la maison, j’y ai passé les vingt premières années de ma vie. »

Avant de s’envoler pour Paris sur les conseils de son agent de cinéma… Il trouvait important d’apprendre le français, l’exemple des Monica Bellucci ou Carla Bruni sans doute. Elle aura et la langue française et un pianiste français. « Finalement, je suis venue de Rome à Paris, puis de Paris à ici. Je n’avais jamais pensé vivre dans le Sud de la France ! Mais l’enfance de notre fille a été meilleure. On vivait à Montmartre et au bout d’un moment, on ne voit plus que le négatif. Ici, quand on revient chez nous après un déplacement d’un mois ou deux, c’est régénérant de rentrer. Un vrai havre de paix, je me sens protégée. » Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, lorsqu’entre deux promenades à vélo pour admirer les montagnes, David lui demande une création pour l’Offrande musicale.

Intrigue de cour

« J’avais l’idée qu’à l’Offrande musicale, le handicap ne devait pas être uniquement dans la salle, mais aussi sur scène. De plusieurs manières, comme avec Hector Obalk, ce critique d’art qui évoquera ces peintres qui ont mis leur supposée faiblesse au service d’une vision du monde qui aujourd’hui encore nous bouleverse. » Et Chiara connaît bien l’Histoire de France, notamment celle de la fin de l’Ancien Régime. Très bien même : « Le soir, au lit, je la vois toujours avec un livre sur cette période. » Ensemble, ils pensent au premier fils de Louis XVI et Marie-Antoinette, le dauphin, mort à 7 ans ½ des suites d’une tuberculose osseuse qui l’avait handicapé pendant des années. Mais quand on connaît trop un sujet, on ne sait par quel bout le prendre.

Oui, je sais que le trop plein d’érudition n’est pas ton problème. Pour Chiara, ça a pu en être un. Enfant, elle est happée par le passé. David confirme : « Elle ne voit pas l’Histoire comme une chose abstraite. » « J’ai grandi dans des théâtres, en regardant des opéras, comme si c’était la réalité, se souvient Chiara. Quand j’en sortais je me sentais un peu déconnectée. À l’école, la maîtresse avait appelé mes parents parce que j’écrivais les rédactions comme des livrets d’opéra : “elle écrit comme au xviiie siècle”, disait-elle. Dans ma chambre, je n’avais pas de lampes, mais des bougies. Au théâtre, tu peux gérer le temps, la mort… C’est tellement magnifique que je crois que j’aurais voulu que ce soit la réalité. » « C’est l’humain qui fait l’Histoire. Pour comprendre un personnage, il faut aller dans l’enfance, tout est là », dira-t-elle de Louis XVI. On peut le dire de Chiara.

« À l’école, la maîtresse avait appelé mes parents parce que j’écrivais les rédactions comme des livrets d’opéra : “elle écrit comme au xviiie siècle”, disait-elle. Dans ma chambre, je n’avais pas de lampes, mais des bougies. »

Il n’existe qu’un livre au sujet du petit Louis-Joseph de France, Un prince méconnu. Et une allusion dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, quand l’enfant est effacé du tableau (ou plutôt de la croûte !) de famille. Il a fallu composer, imaginer les sentiments, et les traduire en français avec l’aide de l’écrivaine Virginie Reisz. Si l’on connaît parfaitement l’épisode de la prison du Temple où a été enfermée dans des conditions ignobles toute la famille royale et singulièrement, après la mort de leurs parents, ses frères et sœurs Marie-Thérèse de France et
Louis XVII, on a oublié l’histoire de cet enfant. Pourtant sa perte pendant les États-Généraux a eu des répercussions sur la grande Histoire de France. « Le petit portait un corset en fer. On voyait à travers lui comme l’image cinématographique de la déchéance de l’Ancien Régime. Louis XVI lui-même avait perdu son frère, mort des suites d’une opération ratée d’une tumeur provoquée par une chute de cheval de bois. Il restait mélancolique, fuyant, se sentant illégitime. Avec ce nouveau deuil, il n’était déjà plus là. »

crédit : DoudPhoto / Yvette

Car le couple royal montrait une grande implication auprès de ses enfants, qu’il éduquait véritablement, hors des conventions de la cour, de façon bourgeoise, c’est-à-dire moderne. On mesure le drame qui a pu se jouer dans cette famille, même la plus privilégiée qui soit, confrontée aux douleurs du handicap et de la maladie. « Pendant les États-Généraux, la Reine répétait à toutes les demandes pressantes : “Le Roi n’est pas en état”. Lui-même s’est récrié un jour : “Il n’y a donc pas de père parmi ces gens-là ?” » Un roi normal. Et une Histoire qui, au lieu d’être prise par le biais politique, devient l’histoire universelle d’une famille confrontée au handicap, à la souffrance, au deuil. Le prince méconnu de l’ouvrage devient l’enfant oublié, l’enfant comme n’importe quel autre enfant. « C’est un thème universel. Le sujet n’est pas la Révolution française mais cet enfant, le dauphin, que tout le monde voudrait parfait, mais non. Il a une pathologie dégénérative, comment vivre avec ça, comment l’accompagner ? Ce sont eux les vrais héros. »

Sur scène, ce sera poignant, avec David Fray convaincu par son épouse de jouer les compositeurs baroques français au piano moderne. « Moi aussi, elle me pousse dans mes retranchements, il faut parfois un déclic pour passer outre ses réticences. Autant on peut s’engueuler beaucoup au quotidien comme n’importe quel couple, autant nous avons des goûts assez similaires ! »